Où en est-on du démantèlement des réacteurs nucléaires de "première génération" de Saint-Laurent-des-Eaux ?
Publié : 5 février 2024 à 19h38 par Nicolas Terrien
A l’arrêt depuis trente ans, le site qui jouxte l’actuel centre de production d’électricité de Saint-Laurent-des-Eaux est toujours en cours de déconstruction. Avec comme perspective d’achèvement... La fin de ce siècle ! Gros plan sur un chantier aussi crucial que vertigineux.
Il existe des activités industrielles qui échappent presque à toute temporalité à l’échelle humaine. Assurément, le démantèlement des deux réacteurs de première génération de Saint-Laurent A en est une. Car un jeune ingénieur diplômé en 2023 qui y effectuerait toute sa carrière professionnelle n’en verrait pas l’achèvement, ni même à sa retraite, puisqu’on évoque une perspective finale pas avant... 2100 du côté d’EDF ! Pour mémoire, les deux anciens réacteurs de Saint-Laurent ont été construits en 1962 pour l’un et en 1969 pour l’autre. Après avoir largement contribué à l’indépendance énergétique de la France de la fin des "trente glorieuses", leur arrêt définitif est intervenu en 1992, alors que les deux unités 1 et 2 actuellement en production avaient pris le relais. Depuis, les opérations de démantèlement ont été lancées, avec évidemment l’évacuation du combustible et des effluents radioactifs, puis les déconstructions de la salle des machines et des piscines. "L’objectif est de démanteler un maximum de choses autour des caissons, qu’on n'a pas le droit de toucher pour le moment" explique Olivier Morvan, le directeur du site en déconstruction. Car le hic, c’est que ces caissons sont truffés de graphite hautement radioactif dont les technologies de traitement et de stockage ne sont aujourd’hui qu’expérimentales, voire encore inconnues. Un sujet pourtant crucial qu’on n’avait absolument pas anticipé dans les années 1960, dont héritent aujourd’hui les nouvelles générations d’ingénieurs, sommés de trouver des solutions !
Chinon comme site de déconstruction expérimental
Précisons que les deux installations de Saint-Laurent ne sont pas les seules à connaitre cette situation en France, puisqu’on dénombre six réacteurs graphite en France, avec Bugey et Chinon. En tout, ce sont onze réacteurs concernés par un démantèlement à ce jour, avec l’ajout en 2023 des deux unités de Fessenheim dont la déconstruction ne devrait prendre "que" quinze à vingt ans. C’est d’ailleurs un peu plus en aval de la Loire, à Chinon, qu’est testé le fameux "démonstrateur graphite" depuis 2022. Présenté par EDF comme une première mondiale, cette gigantesque boîte métallique doit permettre de tester en conditions réelles le démantèlement des réacteurs graphites et la gestion des déchets qui en découlent. Le tout en s’appuyant sur la robotique avec des bras télé-opérés, car il est évidemment inimaginable d’envoyer des agents traiter directement cette matière terriblement radioactive. Le site chinonais se fixe l’horizon de 2030 pour commencer le démantèlement de son installation A2. L’enjeu est donc énorme pour Saint-Laurent, qui attend ce retour d’expérience du pays de Rabelais. Concernant le stockage, ce sera à l’ANDRA -Centre de stockage des déchets nucléaires de l’Aube à Soulaines-Dhuys- de l’assurer... Sauf que les solutions de conservation n’existent tout simplement pas à ce jour.
Fin du chantier dans 80 ans ?
En attendant des perspectives plus claires, c’est une trentaine d’agents EDF et une cinquantaine de partenaires industriels qui œuvrent quotidiennement sur le site A de Saint-Laurent-des-Eaux, afin de déconstruire ce qui peut l’être en l’état. En 2024, il s’agira déjà de se concentrer sur une zone qui avait subi un incendie en 1985, soit 7 000 mètres cubes de terre à excaver et à trier. "Nous entamons aussi le retrait de tous les éléments électromécaniques" indique Olivier Morvan. Une étape qui s’étirera jusqu’en 2037. Le traitement des caissons, lui, ne devrait pas intervenir avant 2060 : "C’est le temps qu’il faut pour acquérir l’expérience et mettre au point les procédés sur la tête de série de Chinon A2" justifie le chef du démantèlement des installations de Saint-Laurent. Quant au démantèlement complet, il faut se projeter au lointain horizon... 2100 ! Autrement dit, il faudra plus d’un siècle -au mieux, on l’a bien compris- pour déconstruire ces réacteurs d’une autre époque où le démantèlement n’était visiblement pas une question. Un héritage des générations précédentes dont on se serait bien passé, mais à l’heure des EPR, EDF l’assure : quand on construit aujourd’hui, on doit disposer des solutions de déconstruction pour demain.