Traitement, PrEp, vaccin : le Dr Hitoto, chef du service maladies infectieuses de l’hôpital du Mans, fait le point sur la lutte contre le VIH
Publié : 1er décembre 2020 à 21h02 par Jonathan Lateur
A l'occasion de la "Journée mondiale de lutte contre le SIDA", entretien avec le Dr Hikombo Hitoto, chef du service maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital du Mans.
Alors que le Covid-19 monopolise l’attention du monde entier, quels sont les derniers chiffres de l’épidémie de Sida dans le département de la Sarthe ?
Ceux de 2020 ne sont pas encore consolidés. Pour l’année 2019, 169 personnes ont été infectées par le VIH dans les Pays-de-la-Loire dont 24 dans le département de la Sarthe. L’année précédente, nous avions 35 patients diagnostiqués sans que l’on sache expliquer cette hausse, mais nous sommes cette fois revenus au niveau de l’année 2017. Au total, ce sont 4 800 personnes qui sont suivies dans les hôpitaux ligériens dont 644 au CHM.
Quel est le profil des personnes nouvellement infectées par le VIH ?
Au niveau régional, ce sont en majorité des hommes. Un tiers a plus de 70 ans, un autre tiers a entre 40 et 49 ans, et pour le reste, ce sont des patients de tous âges. Environ 50% des patients sont nés sur le continent africain et 40% en France.
Constatez-vous un relâchement ou un manque d’informations de la population ?
J’ai l’impression que dans l’esprit collectif, le VIH est aujourd’hui considéré comme une infection assez lointaine qui ne concerne plus tout le monde. Je le constate lorsque j’échange avec les personnes qui se rendent au centre de dépistage. Je pense qu’il s’agit d’une erreur de jugement. Ce n’est pas parce qu’on appartient à un certain groupe social qu’on a plus de chance de l’attraper, mais bien parce qu’on a un comportement à risque. Ma recommandation est simple, tant que vous ne connaissez pas le statut du ou de la partenaire avec qui vous avez des rapports sexuels, protégez-vous !
Les jeunes sont-ils moins conscients du risque ?
Si j’avais un message à leur adresser, ce serait vraiment de se dire "le VIH ne touche pas que les vieux". Tout le monde peut l’attraper même dans les premières années de sa vie sexuelle.
Quelles sont les dernières évolutions en matière de traitement ?
Ils sont en pleine évolution, à commencer par la trithérapie. Déjà au début des années 2010, on commençait à avoir des traitements en un seul comprimé à avaler par jour, ce qui constituait déjà une grande avancée pour le confort des patients. Actuellement plusieurs études sont en cours, avec peut-être d’ici un ou deux ans, la mise sur le marché d’un médicament injectable, à raison d’une piqûre par mois de produits antirétroviraux avec la même efficacité que des comprimés avalés tous les jours.
A l’hôpital du Mans, vous expérimentez une autre "stratégie" d’allégement thérapeutique ?
Nous participons à l’essai "ANRS Quatuor" qui consiste en une prise, non plus quotidienne mais intermittente du traitement, seulement quatre jours par semaine. Cette étude donne d’assez bons résultats puisqu’avec quatre comprimés par semaine, on arrive à être aussi efficace qu’avec un traitement administré tous les jours. En terme de ressenti, c’est une avancée majeure puisque cela permet à un patient de se dire qu’il n’est pas sous traitement toute sa vie. Si l’étude venait à être confirmée au niveau national, ce traitement pourrait se généraliser à tous les patients d’ici 2022.
Concernant un éventuel vaccin, quand vous voyez le déploiement considérable de moyens qui a permis d’obtenir très rapidement des résultats pour le Covid-19, quelle est votre réaction ?
Sur le plan stratégique, on pourrait se dire que la vaccination Covid avance plus vite que la vaccination pour le VIH, mais on ne peut pas faire cette comparaison. Ce n’est pas une question d’envie ou de moyens. Ces deux virus se comportent complètement différemment. Les cibles vaccinales sont plus aisées à obtenir sur le SARS-CoV-2 parce que c’est un virus plus stable sur le plan de sa structure moléculaire et génétique. Le VIH, lui, mute beaucoup plus facilement, et c’est cette particularité qui a mis en échec la recherche ces dernières années.
La PrEp, traitement préventif pour empêcher l’infection est disponible depuis 2016 en France. Est-elle prescrite à l’hôpital du Mans ?
En effet, cette PrEp est accessible à toute personne qui a des rapports sexuels à risque et pour qui l’utilisation des autres modes de prévention est compliquée. Il peut s’agir par exemple des travailleurs du sexe, ou des personnes qui ont des partenaires multiples et qui souhaitent enlever le préservatif. Ce traitement, s’il est bien pris, leur permet d’éviter d’attraper le VIH. En revanche, il ne protège en aucun cas des autres infections sexuelles transmissibles comme la syphilis, la chlamydia ou encore le gonocoque. Cela signifie que les personnes qui ont recours à la PrEp doivent faire des dépistages réguliers des autres IST. Au Mans, on comptait cinq patients au démarrage en 2017 contre 48 patients pour l’année 2019.
Concernant la sexualité des personnes séropositives, il y également des évolutions ?
C’est un message très important pour les personnes qui sont en couple stable. S'ils remplissent toutes les conditions, c’est-à-dire, si le traitement est bien suivi, s’il est efficace, et si la charge virale est indétectable depuis plus de six mois, alors ces patients ne peuvent pas transmettre le VIH à leur partenaire. C’est un changement de paradigme conforté par une étude réalisée il y a deux ans. Concrètement, cela signifie qu’il n’est plus nécessaire de porter un préservatif lors des relations sexuelles. De même pour les personnes qui auraient un accident d’exposition sexuelle avec un patient séropositif. Dès lors que ce dernier suit un traitement efficace depuis plus de six mois, on ne recommande plus de prendre un traitement post-exposition. Cela change réellement la vie des couples sérodifférents.