Rouen : le musée des beaux-arts abrite une œuvre spoliée durant l’occupation

26 janvier 2024 à 16h34 par Julien Dubois

Mené depuis 2022 par le musée des beaux-arts de Rouen, un audit identifie la provenance de certaines œuvres, susceptibles d’avoir été spoliées à des familles juives pendant la seconde guerre mondiale. Deux d’entre elles attirent particulièrement l’attention.

C’est une démarche "pionnière" qui permet au musée des beaux-arts de Rouen d'en savoir davantage sur ses collections et sur une période qui n’a définitivement pas encore livré tous ses secrets. L’établissement mène en effet depuis deux ans un important travail de recherche, afin d’identifier des tableaux susceptibles d’avoir été spoliés à des familles juives durant la seconde guerre mondiale. "Certaines œuvres sont des biens "MNR" à savoir "Musées nationaux récupération", revenus d’Allemagne après la guerre et sur lesquelles pèsent des soupçons de spoliation par défaut. Mais pour les autres collections, par exemple des donations faites au musée dans les années 50, 60, voire plus tard, nous ne savions pas d’où venaient les œuvres" explique Robert Blaizeau, directeur des musées de la métropole Rouen Normandie.


Un classement du vert au rouge


Sur les plus de 3000 œuvres que compte la structure, 700 ont été identifiées comme pouvant être problématiques. 38 ont ensuite fait l’objet d’une recherche approfondie et ont été classées en plusieurs catégories. "Quand c’est classé "vert", c’est qu’on a un historique complètement établi entre 1933 et 1945. "Jaune-vert", c’est quand on a un historique incomplet, mais qu’il n’y a pas de véritables soupçons de spoliation. "Jaune-rouge", c’est également incomplet mais on commence à avoir des doutes. Enfin, vous avez des œuvres qui sont classées en rouge lorsqu’elles sont vraiment à risques, que l’historique a pu être totalement établi et le propriétaire légitime, identifié" détaille Helène Ivanov, qui a participé aux investigations.

Deux oeuvres problématiques


Une dernière catégorie dans laquelle deux œuvres ont été placées. "La femme au miroir" de Renoir, que Charles Vaumousse, un marchand d’art très actif durant l’occupation, a acheté en 1942 à Raphaël Gérard, autre "main indélicate" de cette période. La spoliation pourrait donc avoir eu lieu au cours des deux années précédant la vente. Aucun doute en revanche pour le tableau "Madame Guillaumin cousant" d’Armand Guillaumin.  "Il a été exposé à Paris par Raphaël Gérard, puis vendu à Friedrick Weils, qui tenait une galerie à Salzbourg. Le pastel revient ensuite au retour de la guerre, intègre les collections françaises et entre en dépôt à Rouen" révèle la chercheuse.


Procéder à la restitution


A qui appartenait donc cette œuvre au statut si particulier ? C’est une question à laquelle va devoir répondre la "Commision pour l’indemnisation des victimes de spoliation", qui a été saisie par le musée des beaux-arts. "C’est elle qui va finaliser la recherche des ayants droits et les approcher pour effectuer la restitution" précise Corinne Hershkovitch, avocate, qui a supervisé l’audit au sein des collections rouennaises. Et pendant toute la durée de ce processus, qui pourrait s’étaler sur plusieurs mois, des notices, juxtaposées à neuf tableaux, vont permettre aux visiteurs d’en savoir plus sur leurs propriétaires et les transactiosn effectuées "durant la période nazie". "On pose aussi des questions. On dit ce qu’on ne sait pas et on demande aux visiteurs de nous contacter s’ils disposent d’informations supplémentaires" ajoute Robert Blaizeau, qui confirme qu’une deuxième phase de recherches est prévue afin d’analyser d’autres œuvres.