Grève à l’hôpital psychiatrique d’Allonnes : les soignants signent une tribune

Grève à l’hôpital psychiatrique d’Allonnes : les soignants signent une tribune

13 mars 2024 à 11h14 par Clément Rohée

Les syndicats de l’Etablissement public de santé mentale de la Sarthe n’en finissent plus de tirer la sonnette d’alarme. Ils publient une tribune signée par plus de 400 agents pour dénoncer la situation actuelle dans l’hôpital psychiatrique.

"Une personne en crise suicidaire grave qui ne peut pas être hospitalisée, malgré sa demande. Une patiente qui tisse un lien de confiance, après des mois de suivi avec un soignant, et qui se voit contrainte de changer d’interlocuteur. Un jeune étudiant suicidaire restant plusieurs jours aux urgences du CH du Mans, sans intimité, dans un chaos permanent". Les exemples cités dans la tribune publiée ce mardi 12 mars par l’intersyndicale de l’Etablissement public de santé mentale de la Sarthe sont nombreux. Tribune signée par 473 professionnels qui réclament "une continuité des soins qui ne se résume pas à l’instauration d’un état de crise permanent".

La tribune complète de l'intersyndicale CGT-FO de l'EPSM de la Sarthe : 

Nous, professionnel.le.s de tous corps de métiers de l’Etablissement Public de Santé Mentale de la
Sarthe, dénonçons la dégradation des soins et de nos conditions de travail. Le service public hospitalier
étant un bien commun et indivisible, il nous a paru conforme à notre éthique d’informer chaque
citoyenne et citoyen.
Nous déplorons l’état catastrophique dans lequel se trouve aujourd’hui l’hôpital public. L’EPSM de la
Sarthe n’échappe pas à ce constat. Abandonner l’hôpital public, c’est abandonner les citoyen.e.s qui y
recourent ; souvent les plus démunis.
Nous crions notre révolte et notre indignation face aux fermetures de lits (180 en 8 ans), à la disparition
de services complets, alors que, dans un étrange mouvement, les services administratifs ne cessent de
s’étendre. Les soignants font leur maximum, et ils se retrouvent l’objet d’encore plus de contraintes.
Incapacité à recruter ; conditions d’accueil déplorables ; tempssoignant réduit, attente honteusement
interminable pour consulter un psychologue (jusqu’à 20 mois pour un enfant) ; parcours de soins
désorganisé et incompréhensible pour le patient ; épuisement et arrêts maladies en hausse constante.
Une personne en crise suicidaire grave qui ne peut pas être hospitalisée, malgré sa demande. Une
patiente qui tisse un lien de confiance, après des mois de suivis avec un soignant, et qui se voit
contrainte de changer d’interlocuteur. Un jeune étudiant suicidaire restant plusieurs jours aux
urgences du CH du Mans, sans intimité, dans un chaos permanent. Un médecin traitant qui n’est plus
en mesure d’avoir des avis spécialisés en psychiatrie et qui se retrouve seul face à la souffrance de ses
patient.e.s. Un homme hospitalisé en crise psychique qui doit être contentionné en chambre hôtelière,
car le temps soignant est de plus en plus réduit. Une femme de 30 ans, abusée sexuellement dans son
enfance et souhaitant se faire soigner : sans moyen financier, elle renoncera à voir un psychologue en
libéral. Mais il y aura des mois d’attente dans son Centre Médico-Psychologique pour entamer une
psychothérapie.
La question est au demeurant assez simple : cet hôpital peut-il soigner les patients s’il ne sait pas
protéger ses soignants ? Car, dans un terrible cercle vicieux, la souffrance psychique est contagieuse.
Des soignants qui, désespérant de trouver un sens à leur travail, constatent chaque jour leur
impuissance. Impuissance que les patients perçoivent en retour, alimentant colère, parfois défiance,
souvent incompréhension.
Nous, professionnel.le.s de l’EPSM de la Sarthe, sommes engagé.e.s dans un mouvement social
d’ampleur depuis trois mois. Devant l’impossibilité d’être écoutés par notre direction, nous faisons le
choix de faire sortir notre colère et nos revendications hors de l’hôpital.
Nous faisons le pari que le citoyen saura voir et entendre ce que notre direction ne voit ni n’entend.
Nous disons que l’hôpital appartient d’abord au citoyen, et qu’il doit savoir dans quelles conditions il
pourrait être soigné un jour.
Nous voulons que les conditions de travail des soignants soient respectées. Car pour soigner, il faut
aller bien. Sinon, on ne partage plus la souffrance des patients ; on la ressent.
Nous voulons le respect de notre vie privée, poser nos congés librement, voir grandir nos enfants. Nous
réaffirmons que cela ne relève pas du confort, du luxe ou de l’irrespect, mais que cela participe de nos
droits fondamentaux. A l’heure où les risques psychosociaux deviennent une priorité, il ne s’agit même
plus de préserver le bien-être des professionnels, mais d’éviter seulement leur effondrement. En 2023,
127 agents ont quitté l’EPSM, hors retraites. 29 postes de psychiatres sont actuellement vacants. En
2023, on recense 1400 évènements indésirables, soit 33% de plus qu’en 2022. Début 2024, les trois
quarts des patients hospitalisés le sont sous contrainte. L’EPSM prend une atmosphère carcérale qui
transgresse nos valeurs. Car nous devons lutter, dans la solitude de nos consciences, pour ne pas
désavouer notre engagement, avec cette crainte terrible collée au corps : celle de devenir maltraitant.
Nous condamnons une gouvernance managériale digne d’une grande entreprise, excluant les
soignants des prises de décisions, dans une sorte de paternalisme dépassé confinant au mépris.
Nous exigeons des moyens humains qui soient à la hauteur de la souffrance psychique du
département, le quatrième de France où l’on se suicide le plus. Un département où l’accès aux soins
se détériore chaque mois (fermetures répétées de services d’urgences, d’obstétrique…), ou avoir un
médecin traitant relève non plus du droit, mais de la chance.
Nous réclamons une continuité des soins qui ne se résume pas à l’instauration d’un état de crise
permanent. A l’EPSM de la Sarthe, nous sommes en plan blanc depuis 663 jours. La crise devient la
norme, et permet de légitimer des mesures d’exception au nom d’une prétendue continuité des soins.
Nous, professionnels de la psychiatrie, parlons d’une continuité qualitative des soins.
En écrivant cette tribune, nous voulons maintenir le citoyen proche de ceux qui pourraient un jour le
soigner. Il nous donne sa confiance, et, sans elle, la psychiatrie se condamne à revenir en arrière,
bafouant ses idéaux. Dans un désenchantement commun, soignants et soignés renonceront alors aux
soins. Car, comme le disait Albert Camus, "Il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et
sans espoir".